Portrait d'un Ange

Ici Radio Résurrection 101,666FM.  C'est le portrait du jour, tiré par notre envoyé spécial rue de Henri Barbusse, Stéphane Fontaine.

Bonjour Benoît.  J'ai le grand honneur d'avoir l'Archange Samaël en face de moi.  Samaël, avant de rentrer dans le vif du sujet, expliquez-nous ce qui vous amène à Vaires sur Marne.
Salutations du Seigneur, Stéphane.  Mon escadron, le 118ème Airborne Angels, vient de bombarder Paris, cette nouvelle Sodome.  J'ai perdu quelques plumes dans le combat, ce qui m'a obligé à me poser ici une heure ou deux.

Qu'est-ce qui a déclenché ce courroux divin ?
(Soupir).  Vous, les humains, c'est toujours la même histoire.  Notre Seigneur se manifeste de façon éclatante et vous ne croyez toujours pas en Lui.

Permettez-moi de vous rappeler, Samaël, que la Terre est envahie par deux cents milliards de zombies en pleine putréfaction qui dépecent les Vivants à la première occasion.  Cela donne du grain à moudre aux athées, non ?
C'est votre faute !  Par vos péchés, vous avez tellement retardé le Jour du Jugement Final que le nombre de Morts à juger a dépassé toutes les prévisions.  Nous avons été pris de court.

J'ai appris l'autre jour que les crimes commises en tant que Morts n'étaient pas recevables devant le Tribunal Céleste.  Le rue grouille de tordus qui répondent de leurs actes à personne.  C'est une preuve de l'existence de Dieu, ça ?
Ecoute, l'Apocalypse est un vaste chantier.  Notre Seigneur a sous-traité certains détails à des êtres inférieurs qui n'ont pas en effet mesuré toutes les conséquences de leurs décisions.  Et puis : ce fils de pute de Lucifer nous empêche de corriger le tir, c'est un avocat du diable absolument redoutable !

Du calme, du calme.  Notre petite ville s'est à peine remise du dernier tremblement de terre.  Parlez-moi de ce bombardement pour vous défouler.
Ironie de l'histoire, les croyants de Paris ont enfin réussi à s'entendre.  Ils sont convaincus que tout cela est l'oeuvre de l'Antéchrist.  Ils ont formé des milices qui s'en prennent aux zombies, à coups de grenades à l'eau bénite et aux balles d'argent.  C'est impensable : c'est à nous et à nous seul d'expédier les Morts en Enfer, le cas échéant, et après un procès équitable.  Si nous n'agissons pas, des zombies innocents seront livrés aux flammes éternelles.  Lucifer se pisse dessus à force de rire.

A vous écouter, j'ai l'impression que nous payons tous pour la haine que vous portez à Lucifer...
Ecoute, Stéphane, en tant que pitoyable mortel modelé dans l'argile, tu n'a pas les moyens de comprendre ce genre de choses.  C'est le bordel dans l'Univers, vois-tu ?  Tu me parles de deux cents milliards de zombies sur Terre, crois-tu que c'est le seul planète concerné par le Projet Apocalypse ?

Tant que Gabriel était en vie, nous avions les moyens de contenir Lucifer.  Maintenant qu'il est parti...

Parle-moi de lui.  Vous étiez amis ?
Plus que ça, nous étions frères.  Nous sommes sortis du même hocquet quantique.  Nous avons joué de la trompette dans le même choeur céleste, nous avons dansé ensemble sur la tête de la même épingle.  C'était un être d'une grande sensibilité.  Il savait, lui, distinguer le Noir et le Blanc.  Il n'était pas comme les anges d'aujourd'hui, pour qui tout est une nuance plus ou moins foncée de gris.

Puis nous étions frères d'armes au sein du 118ème.  J'étais à quelques milliards d'âtomes de distance de lui quand le missile sol-air l'a abattu.

Oui, je me rappelle de ce jour.  Il est tombé tellement de plumes, on aurait cru à une bataille de polochons dans un internat de filles.
En tout cas, Paris est en train de payer pour ses crimes.  Les pertes sont lourdes, mais notre Seigneur n'a qu'à éternuer pour que mille Anges Exterminateurs soient expulsés de son corps.  C'en sera bientôt fini pour vous.

La décision a été prise de nous exterminer, alors ?
Ce n'est rien de personnel, mon cher Stéphane.  C'est purement administratif.  Aujourd'hui, vous, les Vivants, vous êtes le grain de sable dans les rouages d'un vaste opération qui ne vous concerne pas.  Vous êtes plus facile à gérer une fois morts.

Bon, ce n'est pas tout ça, j'ai un rapport à faire.  En plus, j'ai laissé tomber mon épée flamboyante quelque part entre ici et Paris, je ne voudrais pas qu'un enfant zombie innocent se blesse avec.  Ciao, je te reverrai de l'autre côté.  A très bientôt (rires).